Le texte ci-dessous est la deuxième et dernière partie de l’analyse dont nous avons diffusé la première partie en début d’après-midi de ce lundi 14 décembre 2020
Katumbi, Bemba… les gros poissons attendent aussi avec leurs gamelles
Viennent ensuite les gros poissons qui ont mis la main à la pâte, du moins pour couler le bureau Mabunda jusque-là, et ont marqué leur disponibilité à accompagner (un euphémisme certainement) la nouvelle vision de Félix Tshisekedi. On voit arriver, par exemple, Moïse Katumbi, un ultra capitaliste qui ne fait aucun mystère de ce qu’il pense être la gestion du secteur minier particulièrement. Trader et entrepreneur dans le secteur, il a des lobbies politico affairistes en Occident qui ne rêvent que de faire réviser le nouveau code minier.
Jusque-là connue simplement comme Gouverneur de province, cette grosse fortune katangaise ne fait plus, non plus, mystère de ses ambitions présidentielles, et ce nouveau contexte politique qui se dessine devrait lui permettre de se déployer à la nationale. Les bruits de couloir lui donnent pour preneur de la présidence de l’Assemblée nationale à travers Christian Mwando, mais il compterait également prendre pied au sein du prochain gouvernement.
Et à l’Assemblée nationale, Katumbi ne se contentera certainement pas d’offrir à Tshisekedi une chambre d’entérinement de ses quatre volontés. Même si présider l’Assemblée ne revient pas nécessairement à en contrôler la dynamique, on est bien en RDC. Christian Mwando, si les supputations se confirment, pourrait avoir des coudées plus franches, voire hors de portée de Tshisekedi, pour gérer cette dynamique avec une tirelire que Katumbi mettrait à sa disposition. De son mandat donc, Mwando propulserait Katumbi à l’échelle nationale pour ainsi lui faciliter son déploiement présidentiel le moment venu.
Autre gros poisson, Jean-Pierre Bemba Gombo. Après ses dix ans de prison à la CPI, Baïmoto aura passé ces trois dernières années à se contenter de ce qui n’est rien moins que des expédients, accompagnant les autres dans leurs ambitions. L’heure est donc venue pour lui de faire son grand retour sur la scène et surtout dans les arcanes institutionnels. Les bruits de couloir lui attribuent déjà la Primature, Mais tel qu’on le connaît, l’homme ne se contenterait pas seulement de cela et pourrait demander quelques portefeuilles, sans compter, bien entendu, le partage au niveau des entreprises.
Par ailleurs, Jean-Pierre Bemba est un libéral qui serait appelé à faire ménage avec le socio-démocrate qu’est Félix Tshisekedi. Même si ces idéologies ne dictent passe le comportement de l’homme politique congolais, Bemba, comme Katumbi, est connu pour son intérêt porté sur les affaires, autrement dit sur l’argent. Ses pratiques et ses partenaires en affaires l’ont, à une certaine époque, mis en délicatesse avec des gouvernements occidentaux. On se souvient, par exemple, du dossier d’un certain Viktor Bout, un trafiquant d’armes russe arrêté en 2008 par les USA, avec qui Bemba avait été brièvement en affaires, notamment pour l’acquisition de son hélicoptère.
Connu également pour non égo surdimensionné, son autoritarisme lui a fait perdre du personnel politique au MLC à cause du même genre de frustrations qui mettent aujourd’hui le FCC en difficulté. La question est alors de savoir ce que pourrait être le ménage entre lui et Félix Tshisekedi. Celui-ci, d’une part, affiche la même fougue en terme de tempérament, et, d’autre part, se trouve en plein élargissement de son pouvoir et son autorité, et n’entendrait donc pas être contrarié.
De toutes les façons, son bataillon des combattants est là pour veiller au grain, même si les « fourmis » du MLC ont aussi l’expérience de la rue…
Le ménage polygamique qui attend Félix Tshisekedi voit aussi arriver les transfuges du FCC. Ceux-ci ont bien à l’esprit que ce sont eux qui font le match pour Tshisekedi et qui apportent cette majorité que seraient incapables de lui apporter sa famille politique, les katumbistes et les bembistes réunis. Adulés aujourd’hui après avoir longtemps été traités de tous les maux, ils comptent bien rentabiliser leur apport.
A commencer par Bahati Lukwebo qui avait pris ses distances d’avec le FCC depuis longtemps pour défaut de satisfaction de ses ambitions. Aujourd’hui, Bahati s’affiche comme un leader à part entière sur l’échiquier politique national et ne rate aucune occasion pour le faire savoir. Très porté aussi sur le pouvoir et l’avoir, et connu pour son opiniâtreté dans la quête de ce qu’il veut avoir, Modeste – qui ne l’est pas du tout – Bahati entendra certainement obtenir de Fatshi ce qu’il n’avait pu avoir avec Kabila. Sa grande déception fut, en effet, de ne pas obtenir le perchoir du Sénat.
Cette fois-ci, à défaut de la chambre haute, Bahati viserait bien un maroquin bien alléchant au niveau du Gouvernement – pourquoi pas les finances assorties d’une préséance de vice-Primature. À moins qu’il vise encore plus haut, la Banque centrale par exemple, et ce ne serait pas étonnant de sa part.
Autant donc de cas de figure sur lesquels s’ouvre la RDC à travers l’Union sacrée initiée par Félix Tshisekedi et qui – qu’on ne se voile pas la face non plus – dominent l’intérêt du « peuple d’abord » dans le chef des uns et des autres. Le Chef de l’État aurait-il, comme le crocodile, fui la pluie pour aller se réfugier dans la rivière ? Comment se déterminera-t-il face à ces évidences de la politique congolaise pour réussir son ambition de servir le peuple tout en assurant la stabilité des instructions au détriment de la toute puissance des hommes ?
Nul, à ce jour, ne saurait préjuger de ses marges de manœuvre. Lors de ses consultations, Félix Tshisekedi avait eu certainement le temps de prendre la mesure de ces détails. Il lui reviendra de trouver les meilleures passerelles lui permettant de réussir un triangle équilatéral constitué, d’une part, de sa vision et de ses moyens de la réaliser, d’autre part du fonctionnement effectif de l’État au service du citoyen, et d’autre, enfin, de la satisfaction des attentes de ses nombreux nouveaux partenaires, les uns aux crocs acérés, les autres aux tempéraments trempés, les autres encore aux ambitions hétéroclites et aux appétits pantagruéliques.
Un parfait syncrétisme, pour tout dire, et qui pose une hypothèque en béton sur les intérêts du « peuple d’abord »…
Bref, l’Union sacrée de la Nation s’annonce comme un attelage aussi complexe que compliqué pour une RDC qui aspire à plus de sérénité et de stabilité.
Un point d’avantage tout de même pour Fatshi : la nouvelle configuration « unioniste » propose théoriquement une intéressante répartition territoriale à travers les chefs des différents groupes : Bemba pour le grand Équateur, Katumbi pour le grand Katanga, Bahati pour le Kivu où il prendrait le relai de Kamerhe, etc. À Tshisekedi donc de savoir en tirer le meilleur avantage politique en perspective de 2023.
Jonas Eugène Kota